2006 TIRANT D’AIR (Troyes)

cac Passages

« Tirant d’air » est une exposition qui se présente comme un drapeau. Comme lui, elle mêle différents registres : formel, politique, juridique, verbal.

Des rubans de plastique colorés, verticaux, s’accrochent à la marquise qui surmonte l’entrée du centre d’art contemporain de Troyes. Comme un drapeau, ces rubans sont agités par le vent et ils manifestent leur présence comme un signe. Mais plus qu’un drapeau, ces rubans évoquent les triviales languettes moustiquaires ornant les embrasures de porte l’été, à la campagne. A moins de passer son chemin, il y a donc à les franchir pour pouvoir passer la porte et se retrouver dans l’exposition, face à un couloir se terminant par un autre rideau de rubans colorés. Ce second rideau est agité par un ventilateur ainsi que par le passage des spectateurs se rendant dans la pièce la plus extérieure au bâtiment, une petite véranda plongeant sur le jardin.

S’il y a une injonction dans tout drapeau — ne fût-ce que celle d’être vu — Bruno Goosse en produit dans l’espace : celle d’être traversé.

Avec le drapeau, la loi fixe la forme de l’image. Elle commande l’image. D’une autre manière, la légende d’une image ou la voix off en ordonne la vision. Certes la légende est évitable. Mais l’exposition ? N’ordonne-t-elle pas à son tour une lecture des œuvres ?

Le dispositif proposé inclut l’extérieur du centre d’art, y créant une sorte d’antichambre qui, une fois franchie, apparaît comme faisant déjà partie du dispositif de l’exposition. Est ainsi indiqué qu’il n’y a pas à vouloir arriver au cœur de l’exposition, au cœur des choses, au cœur du propos. Il n’y a pas de centre. C’est aux marges de ce qu’il semble être que le travail de Bruno Goosse se pose.

« Tirant d’air » rassemble des œuvres diverses : outre ces rubans de plastiques, il y a une vidéo projetée sur écran de rubans, une sur écran fixe, d’autres diffusées sur écran cathodique, ainsi que des photographies imprimées ou montrées sous forme de diaporama. Parmi ces travaux, certains ne sont que des variantes, mieux, des reprises, au moyen d’un autre médium. Par exemple, les photos imprimées sont issues d’une vidéo (exportées à partir d’une vidéo). Dans un second temps (ou un troisième), ces photos, mises en mouvement, constitueront une nouvelle vidéo. Il n’est pas question ici d’affirmer que tout se recycle, mais plutôt de montrer comment tout se déplace (ou peut se déplacer). Ce qui se joue entre les médiums, entre les œuvres, se joue également au sein des œuvres : ainsi le discours politique, l’article de presse, l’exposé scientifique, l’article de loi peut devenir l’équivalent de la légende d’une image, ainsi, l’image d’un champ moissonné peut devenir celui d’un champ de bataille…

Quelle est cette force du langage et de ses artifices qui produit ce à quoi l’on assiste aujourd’hui ? On n’a jamais autant brûlé de drapeaux. On n’a jamais autant montré que l’on brûle des drapeaux.
Le drapeau, une curieuse image

Dans le flux continu des images que nous habitons, il y en a qui semblent différentes. Certaines ont par exemple la qualité d’être répétables suivant une formule ou une description, comme les formes géométriques. Il y a aussi celles qui se construisent selon une loi, constitutive des Etats, comme les drapeaux. Objets symboliques s’il en est, qui trouvent bien sûr leur origine dans une histoire, mais aussi dans un texte de lois les décrivant et précisant leur usage.

En tant qu’objet, le drapeau n’est qu’une étoffe qui ne se déploie que sous l’effet du vent. Le vent communique au drapeau son mouvement, qui ainsi, se fait voir.

Le drapeau pose aussi question au langage. Plusieurs descriptions se concurrencent ou se complètent : symbolique, héraldique et géométrique. Ces trois approches différentes attestent de la difficulté de l’opération descriptive. Le texte précède et contraint l’image. Il faut que l’objet drapeau soit préalablement dit.

Avec le drapeau est décrété, non seulement une image, mais un respect de l’image, voire un culte.


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