LE DEVOIR

Un manoir des Laurentides devenu centre culturel fait l’objet d’une exposition

Caroline Montpetit

17 janvier 2020

Toujours inoccupé, sept ans après avoir été classé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec, le bâtiment du centre culturel de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson fait maintenant l’objet d’une exposition par l’artiste belge Bruno Goosse, à la galerie Occurrence de Montréal.

M. Goosse s’intéresse aux conflits que peuvent créer les classements patrimoniaux. Et il a trouvé ici, près d’un beau lac des Laurentides, matière à alimenter sa réflexion.

Ce bâtiment de béton aux formes futuristes, érigé dans les années 1930 par l’architecte belge Antoine Courtens, a d’ailleurs une histoire bien particulière.

À la fin des années 1930, le richissime baron belge Louis Empain visite le lac Masson et en tombe amoureux. La fortune du multimilliardaire « se compare à celle d’un Rockefeller », raconte Bruno Goosse. Empain y fait venir son architecte, Antoine Courtens, et y installe un centre de villégiature haut de gamme, avec cinéma, salle de bal, et galerie de boutiques. C’est d’ailleurs le baron qui a choisi le nom de l’endroit, l’Estérel, qui sera plus tard adopté par une municipalité voisine de 150 habitants. « Le baron Empain a choisi ce nom en référence à la région de l’Estérel, en France », dit Bruno Goosse.

Deux ans plus tard, la guerre est déclarée. Le baron Empain rentre en Belgique, qui sera occupée par les Allemands. « Le Canada considérera alors que le domaine est un bien appartenant à l’ennemi, et l’armée réquisitionnera les lieux », poursuit Bruno Goosse. Il semble que cette occupation a provoqué la colère du baron Empain, qui, de toute sa vie, ne remettra plus jamais les pieds à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson.

Jusque dans les années 1970, le domaine servira notamment à l’entreposage de bateaux de plaisance, puis tombera en complète désuétude.

Photo: Adil Boukind Le Devoir L’exposition «Échoué n’est pas coulé»

C’est dans cet état que la municipalité l’a repris, l’a complètement rénové et astiqué, à l’aide de centaines de bénévoles, pour en faire un centre culturel. C’est entre autres ce que relate dans l’exposition une vidéo d’une vingtaine de minutes réalisée par Bruno Goosse.

Mais en 2013, essoufflée, la municipalité vend le domaine à un spéculateur immobilier. Au même moment, le ministère de la Culture et des Communications du Québec publie un avis d’intention de classement, qui empêchera le promoteur de mener à bien son projet. Dans la nuit suivant le début des travaux de réfection, une injonction empêche les ouvriers de continuer.

C’est pour ces raisons que le fameux bâtiment de béton à l’architecture ultramoderne pour son époque demeure inhabité, et est pratiquement retourné à l’état d’abandon dans lequel la municipalité l’avait jadis trouvé. « Toutes les images que je présente dans l’exposition et dans la vidéo ont été prises actuellement », raconte Bruno Goosse.

La vidéo de l’artiste présente d’ailleurs Jean Damecourt, président de la société d’histoire de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson et de l’Estérel et également architecte, qui souhaiterait récupérer le bâtiment tout en préservant sa facture architecturale.

Débat

Selon M. Goosse, ce dossier continue cependant de diviser la population locale. D’un côté, certains habitants ne souhaitent pas payer davantage de taxes pour le restaurer de nouveau. D’autres sont très attachés à la valeur patrimoniale de l’endroit.

Les propos du promoteur propriétaire des lieux, Fadi Coussa, sont rapportés dans l’exposition par Bruno Goosse. « Confronté à de multiples frustrations, dont le classement est un élément déterminant, l’enthousiasme laisse place à la déception. Peu importe ce qu’il adviendra maintenant, l’enthousiasme ne reviendra plus », dit-il.

Échoué n’est pas coulé de Bruno Goosse, à la galerie Occurence, du 16 janvier au 29 février 2020.